Il était une fois Orihime, une déesse qui était amoureuse d'un simple mortel, Hikoboshi.
Le roi des cieux, rendu furieux par cette union, décida de séparer les deux amants par une rivière d'étoiles; la voie lactée.
Cependant, confronté au chagrin inconsolable de sa fille, le roi des cieux permit à Orihime et à Hikoboshi de se voir une fois par un an.
Tous les 7 juillet, à l'occasion de ce que l'on appelle aujourd'hui Tanabata, Orihime et Hikoboshi se retrouvent ainsi réunis.
Maintenant si vous me demandez ce que j'ai fait pour Tanabata, ben je vous dirai un peu de tout...
D'abord le week end dernier on a fêté ça un peu en avance à Mukaijima. Comme le veut la tradition, on a porté des yukata et on a calligraphié nos voeux en espérant que Orihime et Hikoboshi les réalisent.
J'ai acheté un yukata spécialement pour l'occasion, mais celui-ci n'a malheuresement pas fait très long feu. Il s'est pris dans la chaine de mon vélo quand dans l'élan de la soirée on a décidé d'aller acheter de l'alcool au combini en gardant nos tenues traditionnelles japonaises... C'est pas trop grave, le yukata m'avait coûté à peine 7 euros. Ca sera l'occasion d'en acheter un peu plus beau, et un peu plus cher aussi...
Mardi, le jour même de Tanabata, il ne s'est finalement pas passé grand chose de très tanabatien. Il y a tout de même eu quelques évènements mémorables, comme le cours de problèmes sociaux du Japon, qui décidément réserve bien des surprises.
Cette fois-ci, le professeur avait décidé de nous parler des minorités sexuelles au Japon. Pour se faire, il a invité un transsexuel.
Si il y a bien un truc qui surprend au début à la télé japonaise, c'est l'omniprésence des transsexuels. Des tas d'émissions de divertissement sont consacrées au sujet. Par exemple vous avez dix femmes du genre super canon sur le plateau, et vous devez deviner dans le groupe laquelle est en fait... un homme.
Ou encore, vous avez un groupe d'hommes devenus ou simplement déguisés en femmes. Le principe est de classer les invités en trois catégories :
-chirurgicalement complètement métamorphosé
-un peu refait
-pas du tout retouché.
Voilà, juste pour vous donner une idée de la popularité des transsexuels sur le petit écran. Au Japon, ils leurs donnent le petit nom de "nyuu haafu" ( de l'anglais "new half"). "new half" est encore un de ces mots anglais crée par les Japonais. A la base, les "haafu" désignent ayant une double origine japonaise et étrangère.
Je sais pas du tout à quoi est du cet engouement. Peut-être au fait que les "nyuu haafu" japonais sont particulièrement bien réussis, et que ça serait dommage de pas en faire profiter tout le monde ( je vous assure que même parmi les "pas du tout retouché", il y a parfois de quoi s'y méprendre). Ca pose peut-être moins de problèmes pour un homme japonais de devenir une femme, ne serait-ce qu'au niveau de la pilosité et tout ça... mais je vais peut-être pas plus entrer dans les détails.
Pour revenir à mon cours, avant d'entendre l'invitée de notre professeur, je n'avais des nyuu haafu que cette image déjantée qu'en donne la télévision japonaise. En fait, avec cette image qu'en donne la télé, j'ai bien l'impression que la société japonaise n'accepte ce genre de déviances sexuelles qu'à partir du moment où elles donnent bien l'impression d'être le fait de quelques marginaux, bien à l'écart de la grande majorité.
C'était donc vraiment intéressant d'écouter une personne qui malgré sa "déviance" se voulait plus normale que monstre de foire. L'invitée du professeur a eu des propos certes contestables, mais qui expriment bien un certain point de vue et portent à réfléchir. Nous vivons, selon elle, dans une société qui nous force à bien faire la distinction entre hommes et femmes. Pourtant, il n'existerait pas de distinction si claire entre deux pôles opposés, mais plutôt un spectre allant graduellement de l'homme vers la femme, sur lequel chacun de nous serait naturellement posé, à des degrés différents. Chercher à imposer des comportements conformes à son sexe, ce serait briser cette nature des choses.
Je vous laisse méditer là-dessus, si cela vous inspire quelconque réflexion.
Mercredi, autre évènement marquant. Comme je vous l'ai déjà dit, mon professeur de problèmes sociaux du Japon n'est pas professeur à temps plein. Les trois-quarts du temps, il travaille dans un centre d'assistance aux personnes handicapées qui se trouve être tout près de l'endroit où j'habite. Il m'a donc invité à lui rendre visite sur son lieu de travail.
La plupart des personnes du centre étaient handicapées moteur. Beaucoup d'entre elles n'avaient même pas la capacité de parler. Je pourrais essayer de disserter à la longue sur cette expérience, mais ça en rendrait difficilement compte. Pour faire simple, il faut juste dire que ça fout quand même une sacrée grosse baffe. Regarder droit dans les yeux des personnes dont on détourne parfois inconsciemment le regard quand on les croise dans d'autres contextes, ça ne laisse quand même pas tout à fait indifférent.
Je quitte le centre vers midi pour me rendre à l'université. Je prends mon vélo et pédale sous la pluie. Arrivé au parking juste avant le pont d'où on observe la lune, je bouge un peu quelques vélos pour essayer de me faire une petite place. De là je commence à traverser le pont pour me rendre à la gare qui se trouve de l'autre côté. Arrivé à peu près à la moitié, j'aperçois mon train qui commence à entrer en gare. C'est là que j'entamme mon sprint final sur le pont pour ne pas le rater. Je glisse rapidement ma carte le transport dans la machine, et d'un bond j'entre dans un wagon. La routine quoi, sauf que cette fois-ci je me suis rendu compte pour la première fois de la véritable bénédiction que représentait toute cette liberté de mouvement.
Jeudi et vendredi, je suis allé dans une fabrique de Japonais... euh pardon je voulais dire une école primaire.
Cette fois-ci ça a directement lien avec Tanabata. Mon université, Doshisha, possède en fait un vaste réseau d'écoles qui fait que l'on peut y passer pratiquement toute sa scolarité, du berceau jusqu'au boulot.
L'école primaire de Doshisha cherchait à faire venir des étudiants étrangers de l'université de Doshisha pour faire différentes activités sur le thème de Tanabata. Ils ont fait des annonces il y a environ deux semaines, alors j'ai postulé. C'est payé et en plus ça permet de voir comment le Japon éduque sa jeunesse, alors il fallait vraiment pas hésiter.
D'abord, mes premières impressions sur l'établissement. Ben dites donc, ils ont vraiment les moyens à Doshisha. La bibliothèque m'a tout simplement sidéré. Je m'en souviens très bien de la bibliothèque de mon école primaire, et elle n'a tout simplement rien à voir avec celle de l'école primaire de Doshisha. A Ribemont, c'était juste cette toute petite salle carrée au bout d'un grand couloir. Les livres que l'on pouvait y trouver avaient généralement pour protagonistes des animaux, et ça n'allait généralement pas beaucoup plus loin.
A Doshisha, les gamins ont carrément une bibliothèque divisée en sections comme dans les universités : histoire, politique, sociologie, économie... Tout ça en version expliqué pour les enfants. J'y ai jeté un coup d'oeil. Ca doit tout de même être difficile d'accès pour les plus jeunes, mais il n'empêche que c'est vachement bien fait. Je sais pas si les 5ème et les 6ème année ouvrent vraiment tous ces bouquins, mais peut-être Doshisha a fait tout ça dans l'espoir de déclencher chez certains une véritable passion pour les études.
Le personnel m'a un peu expliqué le fonctionnement de l'école. Doshisha, en tant qu'école privée, dispose de quelques libertés sur son emploi du temps. Les élèves ont ainsi des cours sur le christianisme ( le fondateur de Doshisha était un fervent croyant) et disposent, ce qui est une chance absolument inouïe, de 20 minutes de cours d'anglais par jour avec des professeurs d'origine anglo-saxonne.
Au Japon, l'école primaire dure 6 ans ( du cp à la sixième). Le collège et le lycée durant tous deux trois ans.
Le jeudi matin je voyais des étudiants de sixième année ( en France ce que l'on appelle aussi des sixièmes donc), et le vendredi matin c'était des deuxième année ( des CE1 donc ).
Mon rôle était de leur faire faire un peu d'anglais et de leur parler de la France. Le jeudi matin, pour les sixième années, il y avait un Italien avec moi. On leur a donc appris quelques mots de nos langues respectives pour qu'ils se rendent compte des ressemblances. Ca c'est très bien passé. Les sixième année étaient quand même plutôt calmes et timides, réticents à poser des questions. Mais bon, c'est sans doute l'âge qui veut ça aussi.
Le vendredi matin, j'ai affronté tout seul les deuxième année. Plein d'énergie qu'ils étaient, comme le sont souvent les enfants à cet âge.
D'abord je leur dis mon nom : Ruka
Et là je suis sidéré par la réaction d'un gamin qui me fait : "Ruka ni yoru fukuinsho!"
"L'évangile selon Saint-Luc". Je vous ai déjà dit qu'en japonais Saint-Luc s'appelait saint "Ruka". Du coup ça arrive que certaines personnes fassent le rapprochement. Maintenant, j'ai du avoir la réaction en tout une bonne dizaine de fois. Mais de la part d'un élève japonais d'à peine 6 ou 7 ans, ça m'a quand même fait drôle. Doshisha ne serait finalement donc pas une école chrétienne pour rien...
Ensuite on fait un peu d'anglais en essayant de leur faire deviner d'où je viens.
"Espagne" dit l'un. Je réponds que c'est juste à côté. "Etats-Unis", "Australie", "Nouvelle-Zélande". Les réponses fusent dans tous les coins.
Pendant ce temps il y en avait un dans son coin qui n'arrêtait pas de dire "Corée du Nord, Corée du Nord, Corée du Nord..." Quand enfin je leur ai dit la bonne réponse, il a même fait d'un air sincèrement désolé : "Eh... mais je pensais que c'était la Corée du Nord..."
Les deuxième années avaient préparé une petite pièce en anglais pour Tanabata. Je vous en donne ici un petit extrait, celui de la rencontre entre Orihime et Hikoboshi :
Orihime : I am Orihime, nice to meet you
Hikoboshi : I am Hikoboshi, nice to meet you too
King of the sky : No, no, no! No love!
Orihime : sad
Hikoboshi : sad
King of the sky : Ok, meet once a year is ok.
Orihime and Hikoboshi : We are happy
C'était vraiment trop mignon.
Ensuite on a fait des origami pour les accrocher sur un "sasa" ( bambou nain ils disent dans le dico ), en quelque sorte le sapin de noel de Tanabata.
Les élèves étaient divisés en groupe de cinq ou six, et ils devaient montrer à toute la classe comment faire le pliage qu'ils avaient répété. Moi aussi je devais faire mon origami en suivant les instructions. Au bout de six ou sept je commençais un peu à fatiguer, quand est intervenu un petit incident qui a remis un peu de piment.
L'avant avant dernier groupe n'avait apparemment pas suffisamment répété son origami, ce qui fait qu'ils n'ont finalement pas réussi à expliquer à la classe comment le réaliser. Pour moi c'était juste un petit couac sans conséquences, mais ça a pris des proportions un peu plus grandes que ce que j'imaginais.
Chaque élève a été prié de faire son auto-critique :
-Si seulement on avait mieux répété, on aurait été capables d'y arriver.
-A cause de notre manque d'efforts, nous avons fait perdre beaucoup de temps à la classe.
-Nous avons aussi causé une gêne considérable aux groupes suivants, qui avaient bien répété, eux.
Et tous en choeur : Veuillez accepter nos plus sincères excuses.
En apparence, une classe un peu chahuteuse comme on en trouve certainement dans le monde entier. Pourtant il n y a pas l'ombre d'un doute, ce sont bien des petits Japonais que l'on y forme.
Voilà comment l'école primaire m'a donné une amorce de réponse à la question : "Comment on fabrique les Japonais?"
La sonnerie retentit, je dis au revoir à la classe et je m'apprête à partir quand le chef du groupe qui a subi les remontrances du professeur vient me voir : "désolé, vraiment sincèrement désolé". J'avais envie de lui dire que c'était pas la peine de se faire autant de bile pour ça, qu'au contraire j'étais bien content d'avoir pu échapper à deux origami supplémentaires et d'avoir eu un aperçu de la fabrique des Japonais. Enfin je vais quand même pas interférer dans le système éducatif japonais, je me contente juste d'un petit sourire avant de m'en aller.
Voilà pour cette semaine de Tanabata. Vraiment de tout je vous dis.