Kangetsukyou
Après pratiquement un mois passé au Japon, je me décide enfin à commencer la rédaction de mon blog. Donc je ne pourrai pas vraiment parler de mes premières impressions, qui ne sont plus vraiment très fraîches en ce moment, mais bon il n’est jamais trop tard pour essayer de rattraper. J’ai vu beaucoup de choses depuis que je suis arrivé ici, mais c’était tellement dense que j’avais du mal à exprimer tout ça. Et puis pour le dire franchement je n’avais pas vraiment envie d’écrire non plus.Maintenant, ma vie au Japon se stabilise et commence à prendre la forme qu’elle aura pendant toute cette année. Bizarrement, c’est maintenant que j’ai arrêté de courir à droite à gauche, de découverte en découverte, que je ressens le plus le besoin de m’asseoir pour écrire ; de parler de ma vie en immersion totate dans l'université de Doshisha, Kyoto, Japon.
Alors d’abord, pourquoi ce titre tordu ? Le pont d’où on observe la lune, en japonais ça se dit Kangetsukyou.
観 KAN : regarder
月GETSU : lune
橋KYOU : pont
Chaque matin pour aller à l’université je prends mon vélo ( acheté d’occasion pour 50 euros, il a l’air robuste mais j’espère qu’il tiendra toute l’année) et je le gare avant le fameux pont Kangetsukyou, que je traverse pour me rendre à la station du même nom qui se trouve de l’autre côté. Bref, le Kangetsukyou c’est un peu le passage quotidien vers l’autre monde. Ou au lieu de me lancer dans des considérations philosophiques de bas étage, je peux aussi dire tout simplement que c’est devenu un endroit important dans ma vie. Que je vais devoir le traverser qu’il vente, qu’il neige ou qu’il pleuve, et duquel je verrai tomber les feuilles d’automne et fleurir les cerisiers au printemps. Et puis c'est un nom cool aussi.
De Kangetsukyou je prends la ligne Keihan et je m’arrête à Chushojima pour aller jusqu’à Demachiyanagi. De là j’arrive sur l’avenue Imadegawa et je traverse un nouveau pont. Je marche pour environ 10 minutes et j’y suis enfin arrivé. A ma gauche, l’ancien palais impérial, à ma droite, mon université ( faut avouer que ça le fait quand même ).
De 9h a 12h, ce sont les cours de japonais. Dans l’ensemble, ils ont des titres assez austères. Expression orale, compréhension textuelle… Parfois ils réservent quand même de très bonnes surprises. J’ai vraiment été enchanté par mon cours de compréhension textuelle du lundi matin, 9h. Et pourtant il en faut pour être charmé ce jour ci à cette heure ci. Je m’attendais à un cours où on ne fait que lire des articles de journaux pour ingurgiter un maximum de vocabulaire. En fait non, la prof prévoit de nous faire lire de la littérature japonaise, et de nous demander à chaque fois nos impressions. Et de temps en temps elle se met à parler de sa vie, de la fois où elle était partie en Mongolie pour oublier un amour perdu… Enfin voilà, en sortant de ce cours je me dis « chouette je commencerai bien la semaine ».
Mardi, même horaire, même nom de cours ; compréhension textuelle. Cette fois ci la sobriété du nom est à la hauteur du contenu du cours. La prof ( les profs de japonais sont tous des femmes ) prévoit de nous faire bosser seulement à partir d’articles de journaux. Bon ok pourquoi pas, c’est déjà moins attrayant que le cours d’hier mais bon, le style journalistique est quand même particulier et ça peut pas faire de mal de l’étudier un peu. Mais ça commence mal, le texte qu’elle a choisi est pas vraiment sexy. Il y a une actualité politique bouillonnante en ce moment au Japon avec le premier ministre Fukuda qui a démissionné le mois dernier pour être remplacé par Aso, qui va peut-être devoir démissionner le mois prochain. Malgré tout elle nous sort un texte sur les avantages comparatifs des voitures électriques par rapport aux voitures à hydrogène ou je sais pas trop quoi, pour finalement dire que les voitures hybrides de Toyota c’est vraiment cool. Et c’est pas tout, elle nous demande de chronométrer aussi le temps que l’on met à lire le texte et de calculer le degré de compréhension en remplissant à chaque fois un petit questionnaire. Une fois ce travail laborieux terminé, il faut lire le texte à haute voix avec le voisin qui dispose d’une version où sont marquées toutes les prononciations des idéogrammes et doit corriger chaque erreur. Après on échange les rôles…
Voilà en gros pour les cours de japonais du matin, qui vont du très bon au très moyen. Pour les cours de l’après-midi, c’est assez libre. Il y a huit niveaux de japonais en tout, qui vont de 1, grand débutant à 8, bilingue. Et comme je suis niveau 7 (tant pis pour la modestie, j’en suis fier alors je le dis), j’ai le droit de suivre des cours pour Japonais. En tout pour valider mon semestre j’ai besoin de 13 crédits, et avec tout ce à quoi je me suis inscrit je peux en obtenir 22. Je ne compte pas tous les tenter, mais je me suis inscrit à un peu tout pour garder seulement ceux qui me plaisent le plus. Déjà je pense sérieusement me débarasser du cours de compréhension textuelle du mardi matin, ça m’évitera quelques cauchemars et me permettra de dormir plus sereinement et plus longtemps.
Après pour les cours en Japonais j’ai tenté le tout pour le tout et choisi à vue d’œil ce qui m’intéressait le plus. Je me suis inscris à un cours sur le bouddhisme, mais là je dois dire que je me suis vraiment précipité dans la gueule du loup. Le contenu est déjà assez difficile comme ça, il faut en plus que le prof parle un dialecte de Kyoto assez bien prononcé. C’est le cours que j’ai préparé le plus. La veille et l’avant-veille de la première séance j’ai passé mes soirées sur wikipédia à étudier quelques grands thèmes fondamentaux du bouddhisme et à naviguer de la version française à la version japonaise pour me constituer une liste qui ressemble à peu près à ça :
涅槃 nehan : nirvana
輪廻rinne : samsara
上座部仏教, 南伝仏教、小乗仏教 : Theravada, hinayana
菩薩 : bodhisattva
般若 hanya : pranja
無我 : anatta, absence de soi
我執 gashuu : présence de soi
衆生 shujou, 有情 ujou : sattva
空 kuu : sunyata, absence d’essence, vacuité
龍樹 : Nagarjuna 150-250
菩提 : bodai boddhi, éveil
釈迦 shaka : shakyamuni
波羅蜜 haramitsu : paramita, vertues transcendentales
声聞 Shoumon : sravaka auditeur
秘密仏教 : vajrayana, bouddhisme tantrique
四諦 shitai : quatre nobles vérités
苦諦 kutai : dukhaa, souffrance
集諦 jittai : samudaya, origine de la souffrance
滅諦 mettai : nirodha cessation de la souffrance
道諦 doutai : magga, chemin
三身 trikaya :
法身 hosshin : dharmakaya, corps d’essence, corps spirituel
報身 : sambhogakaya corps de réjouissance
応身 oushin : nirmanakaya corps fabriqué
中観派 chuuganha : madhyamaka, voie du milieu, ryuuju
瑜伽行唯識学派 yugagyouyuishikigakuha : yogacaara, conscience seule
無著 mujaku : asanga fondateur de yuga, 4ème siècle
法華経 houkekyou : sutra du lotus
阿含経 agonkyou : agana
方便 houben : upaya
Pourtant rien n’y a fait. Arrivé le jour même, je pense que je ne me suis jamais senti aussi paumé de toute ma vie. Pourquoi j’écoute ce type ? Qu’est-ce que je fais ici ? Si le contenu du cours m’a plus ou moins échappé, j’ai en tout cas bien ressenti en moi le néant que le prof présentait comme un thème fondateur du bouddhisme.
Un week end m’a permis de me remettre de mes émotions, et c’est un peu angoissé mais tout de même confiant que j’arrive le lundi pour assister à mon deuxième cours en japonais. La politique internationale de l’Asie orientale. Un titre sur lequel j’ai tout de suite accroché parce qu’il fait très sciences po. Et je m'y suis pas trompé, c'était vraiment très sciences po. J'ai beau vouloir garder du recul par rapport à mon université, n'empêche que je suis tout content de retrouver mes repères. Il restait quand même une barrière linguistique, mais pas une montagne. Par contre il donne plus de devoirs que le mec qui fait le cours sur le bouddhisme. Il faudra que je me renseigne pour savoir quelle longueur ça fait un "mini-repooto"
J'ai eu encore d'autres cours, dont un sur la tradition et la culture japonaise qui a l'air pas trop mal. Mais j'en parlerai pas tout de suite, je commence à me lasser... ah oui sinon je me suis inscrit à des cours d'allemand. C'est pas juste une bizarrerie de ma part, j'ai un peu délaissé l'allemand pendant mes études de japonais et j'en suis vraiment arrivé au point où je peux suivre des cours d'allemand en japonais. Je me suis dit que c'était l'occasion ou jamais de ne pas perdre complètement mon allemand. Et puis aussi quand même ça le fait je trouve...
Je sais pas quelle impression générale peut ressortir de ce texte, mais dans l'ensemble je suis super satisfait de ma vie d'étudiant au Japon. C'est pas une vie où on passe son temps à s'émerveiller de toutes les nouvelles choses que l'on découvre jour après jour. Non, c'est une vraie vie d'étudiant, où il y a des cours chiants et des cours plus intéressants... Et franchement, ça me plait.
Il y aurait tant de choses à raconter sur Kyoto, sur les gens que j'ai rencontrés, mais ça sera pour une autre fois...